Les Droits Distincts et Permanents (DDP)
Les Droits Distincts et Permanents (ci-après DDP) font régulièrement l’objet d’une attention particulière. Que ce soit au travers d’opérations menées par des collectivités publiques souhaitant offrir des logements à prix attractifs ou par des acteurs privés désireux de proposer des alternatives aux transactions immobilières conventionnelles, ce concept de propriété est florissant car il remet en question les mécanismes usuels du marché immobilier suisse, dans un contexte des prix de l’immobilier en constante hausse.
Cette typologie de biens uniques occupe une place particulière dans le paysage immobilier suisse car elle offre une alternative à la pleine propriété en permettant à son titulaire, appelé le superficiaire, de détenir ou de construire des bâtiments sur un terrain appartenant à une tierce personne, appelée le superficiant.
Solution immobilière innovante pour les uns, instrument immobilier juridique complexe et incertain pour les autres, comment se définit et fonctionne cette catégorie d’immeubles ? Dans quel cas est-il intéressant ?
Selon la législation suisse (articles 675, 682 et 779 et ss du Code civil), un DDP est un droit réel immatriculé comme immeuble au Registre foncier. Il consiste en :
- une servitude personnelle, donc un droit réel dont la propriété est attribuée à une personne morale ou physique (et non à un autre bien-fonds) ;
- distincte, c’est-à-dire cessible (revendable) et transmissible par héritage ; -
- permanente, soit constituée pour une durée minimale de 30 ans et maximale de 100 ans.
Pour être inscrit au Registre foncier et ainsi, être juridiquement valable, l’acte constitutif d’un DDP doit être passé en la forme authentique, soit signé devant notaire. Il spécifie notamment sur les éléments essentiels suivants : -
- l’étendue du droit, à savoir la surface concernée, la destination et l’utilisation des constructions futures ou existantes ainsi que les éventuelles restrictions d’usage et spécifiques déterminées par les parties ;
- la durée du droit ; -
- l’indemnité à verser au superficiaire, qui correspond au montant de la rente dite équitable, à ses éventuelles modalités de fluctuation à opérer dans le temps ainsi que la périodicité de versement à respecter ;
- les conditions de retours à l’échéance du DDP, portant usuellement sur un des trois scénarii suivants :
- La possibilité de prolongation du droit à l’échéance et ses modalités, en précisant que tout engagement pris d’avance à ce sujet est nul
- Le retour des constructions au superficiant avec ou sans indemnité et ses modalités
- La démolition des constructions et ses modalités
De manière générale, ces caractéristiques lui confèrent un rôle d’instrument de politique immobilière au sens large car il permet de fixer une stratégie foncière pour une durée définie, laissant ainsi aux deux parties et conformément aux conditions fixées dans l’acte constitutif, la possibilité de repositionner sa stratégie à l’échéance.
De plus, le DDP inscrit au Registre foncier peut être grevé d’un titre hypothécaire ce qui laisse la possibilité au superficiant et au superficiaire de contracter une dette sur la valeur de la part qu’il détient.
A titre individuel, il présente aussi certains avantages. Du côté du superficiant (propriétaire du terrain), le DDP lui permet de conserver la maîtrise foncière et de préserver son patrimoine sur le très long terme tout en lui assurant une rentabilité du fait de la perception de la rente convenue.
Du côté du superficiaire, il agit comme un facilitateur d’accession à la propriété par le biais :
- D’un prix d’achat (très) attractif puisque le terrain n’est pas intégré à la transaction à contrario d’une transaction en pleine propriété qui chiffre généralement la part terrain entre 20 à 50% du prix total, dépendamment de sa localisation.
- D’une structure de financement à priori plus accessible puisque le prix d’achat inférieur revient à injecter un montant de fonds propres moindres et à solliciter un montant de prêt immobilier plus faible.
Toutefois, bien que le montant d’investissement initial se limite au coût de construction des immeubles, il est important de préciser que cette solution n’équivaut pas toujours à une bonne affaire. En effet, ce mécanisme, intégrant le versement d’une rente qui peut être plus ou moins équitable en pratique, peut être assimilé à une location longue durée d’un terrain, augmentant ainsi le montant total des charges mensuelles du superficiaire à prendre en compte. Certes, il injectera moins de fonds propres au départ et il aura une dette hypothécaire moins élevée mais, il paiera un montant régulier, à pertes, puisqu’il ne deviendra jamais propriétaire du terrain. Quant au superficiant, la rente doit suffisamment rentabiliser le patrimoine qu’il immobilise et le risque pris pendant la durée du DDP.
N'oublions pas de citer que le superficiaire et le superficiant restent de facto liés pendant la durée de vie du DDP et que dans les perspectives lointaines de l’échéance convenue, il est parfois (souvent) difficile de prédire quelle sera l’évolution de la situation économique, du marché immobilier et personnelles des parties prenantes.
Toutes ces particularités et ces incertitudes sont donc à prendre en compte au moment de la création d’un DDP et-ou de son achat.
De par les mécanismes financiers et mathématiques qui régissent l’estimation immobilière d’un DDP, il est également important de garder en mémoire que, plus son échéance est proche, plus les conditions convenues auront un impact fort sur la valeur vénale déterminée.
Dans ce contexte particulier, l’expertise immobilière représente donc d’une part, un outil permettant d’examiner la pertinence et le coût réels des éléments constitutifs du DDP et d’autre part, un outil d’évaluation immobilière servant d’appui dans le contexte d’une transaction.
Magali Luzza