Mardi 20 août 2024

Veille du marché immobilier, troisième trimestre 2024

Immeubles de rendement (logiques différentes pour les biens à usage propre).
Remarque : basé sur les observations du second trimestre

 

1. Introduction

Notre activité d’expertise immobilière n’échappe pas à l’exigence d’une observation fine et permanente du contexte économique global dans lequel les acteurs du marché immobilier articulent leurs prix d’acquisition ou de vente, ainsi que leurs exigences de rendement. L’immobilier étant par nature un marché nécessitant un recours intensif au capital, il s’agit d’un marché fortement corrélé à l’accessibilité du crédit et au niveau des taux hypothécaires, eux-mêmes découlant du marché des capitaux et de la politique monétaire de la Confédération.

Sous cet angle de vue financier, dont le coût de la propriété découle directement, nous pouvons percevoir l’attractivité de l’acquisition immobilière par rapport à des investissements mobiliers alternatifs. Mais cet arbitrage entre taux de rendements corrigés des primes de risques par classes d’actifs est également influencé par les mécanismes usuels de l’offre et de la demande du marché immobilier. Une production immobilière abondante en réponse à une faible demande de marché induira une tendance baissière des prix, indépendamment des taux de rendements offerts par des actifs alternatifs, alors qu’une faible production en période de forte demande aura l’effet inverse. L’ensemble de ces critères nous permet de décrypter les tendances de fond du marché immobilier. Nous étayons chacune de nos expertises immobilières par des indicateurs économiques pertinents et circonstanciés, et tenons compte avec pertinence des particularités des marchés immobiliers locaux en termes de demande de marché et d’équilibre en prix de vente demandés et prix d’exercice constatés par le passé.

 

2. Situation conjoncturelle

Les fortes incertitudes passées sur la pérennité du dynamisme économique post-covid ne se sont pas entièrement résorbées, même si la résilience de l’économie suisse est remarquable. Les prévisions conjoncturelles du SECO publiées le 17 juin 2024 confirment une croissance modérée de l’économie suisse à hauteur de 1,2 %, confirmant les anticipations d’une croissance inférieure à la moyenne de long terme.

Cette croissance résulte avant tout du secteur des services et de la consommation privée, alors que le secteur industriel est en stagnation. Le contexte de l’emploi demeure très bon, avec un taux de chômage (OFS mai 2024) de 2,4 % en hausse sensible de 0,4 % depuis 2023 (2,0 %).

 

3. Appréciation du marché immobilier du point de vue de la demande

 

3.1 Taux et financements

L’année 2023 aura confirmé la tendance haussière des taux directeurs de la BNS, quittant le territoire des taux négatifs (-0,15 % en août 2022) pour se stabiliser à 1,75 % (juin 2023). Cette hausse a été tempérée une première fois dès mars par une légère baisse de 25 points de base à 1,50 %. Un second abaissement a été procédé par la BNS en juillet 2024, de 25 points de base pour le porter à 1,25 %. Les taux hypothécaires pratiqués par les établissements bancaires ont tout naturellement suivi la même tendance, renchérissant d’autant le coût du crédit. Le pouvoir d’achat et la capacité d’endettement des investisseurs immobilier ont été mis à l’épreuve par ces hausses, qui, quoique modestes en pourcentage, se sont avérées prononcées en évolutions relatives. Parallèlement, l’appétit pour le risque des investisseurs sur les segments des immeubles de rendement a été perçu comme diminuant sensiblement, à l’instar de la baisse significative des agios constatés sur le marché immobilier indirect (écart entre le cours de la part des fonds de placement immobiliers et la valeur d’expertise des immeubles). 

Si cette tendance haussière des taux tendrait à tempérer le niveau des prix sur le marché immobilier, le grand retour de l’inflation amorcé lentement en 2021 s’est concrétisé au-delà de 2 % en mars 2022, avant de se stabiliser aux alentours de 1,5 % courant 2023. Avec des rendements obligataires à 10 ans de la Confédération aux alentours de 0,7 % (juin 2024), la réalité d’un rendement réel négatif se confirme avec insistance pour les classes d’actifs mobiliers se rapprochant du profil rendement–risques des actifs immobiliers. 

Considérant des rendements nets réels moyens de 2,0 % environ pour les actifs immobiliers (FPRE mai 2024), soit d’environ 3,5 % sur base nominale, la demande des investisseurs pour cette classe d’actifs est de notre avis soutenue par le manque d’alternatives de placements. N’en demeure pas moins que la prime de risque en découlant pourrait s’avérer ténue considérant certains marchés immobiliers locaux périphériques à l’écart des bassins d’activités et de croissance, ou certains segments de niche de la demande locative du marché immobilier.

 

3.2 Evolution démographique

La dernière publication de l’OFS en la matière nous révèle une Suisse aux abords des neuf millions d’habitants, en croissance annuelle de 1,6 % (OFS juin 2024). Cette croissance est qualifiée d’historique par l’OFS, le solde migratoire 2023 de 142'300 personnes ayant progressé annuellement de 106,9 %, soit la plus forte croissance annuelle jamais observée en Suisse. Un tel accroissement de la demande soutient naturellement une très forte demande sur le marché immobilier résidentiel, contribuant à abaisser un taux de vacance locative déjà très bas.

 

4. Appréciation du marché immobilier du point de vue de l’offre

L’évolution des investissements dans la construction se redressent en territoire positif (0,1 % de hausse selon OFS, SECO juin 2024) après une régression marquée en 2022 (-5,5 %) et 2023 (-2,0 %). Les incertitudes économiques post-covid semblent ne jouer qu’un rôle secondaire dans cette tendance, tant les contraintes procédurales induites par la révision de la LAT ralentissent l’achèvement des procédures de légalisation des grands projets immobiliers. La raréfaction des terrains à bâtir et le rallongement des délais d’obtention des permis de construire sont en outre perçus comme des facteurs prépondérants de cette tendance de raréfaction de l’offre.

 

5. Conclusion

L’éventail des indicateurs économétriques et statistiques évoqués nous conduisent à observer la très forte résilience du niveau de valorisation global sur le marché immobilier romand des immeubles de rendement.

D’une part, La dynamique de hausse des taux amorcée récemment n’a que peu affecté le niveau des prix observés, outre le fait que cette hausse semble mise en suspens par la BNS. D’autre part, le retour de l’inflation annihile dans une large mesure les opportunités de placements dans d’autres véhicules mobiliers, qui demeurent en territoire négatif considérés en termes réels. Les valorisations actuelles des immeubles de rendement sont ainsi perçues par les investisseurs comme possédant un profil rendement-risques plus favorable, quitte à sous-estimer la prime de risque et remettre à demain l’impact probable du coût des réinvestissements futurs en améliorations énergétiques et décarbonatation du parc immobilier. Pour les acquéreurs privés, la relativement faible activité de la construction et l’afflux migratoire conjoncturellement très soutenu alimentent une pénurie quasi structurelle qui soutient un niveau de valorisation prononcé des biens immobiliers.

Cet équilibre dynamique perdurera selon toute vraisemblance jusqu’en 2025. Ainsi l’impact du franc fort sur l’activité économique suisse, la possible émergence d’une perception de primes de risques très faibles de la part des investisseurs immobiliers, et la perception d’une incitation à l’acquisition par des taux hypothécaires demeurant attractifs en comparaison historique de long terme, sont autant de facteurs pouvant possiblement faire évoluer les repères dans l’intervalle. 

 

Philippe Gavin